Entre exigence technique et quête sensorielle, Anna façonne l’identité de rhum Marie-Louise depuis l’affinage de l’élaboration de la première cuvée. Portée par une passion profonde pour la matière première, elle nous ouvre les portes d’un univers où fermentation, terroir et précision s’unissent pour créer des rhums vivants, élégants et singuliers.
- Depuis combien de temps, travailles-tu aux côtés de Rodolphe pour les rhums Marie-Louise ? Et comment cette collaboration a-t-elle débuté ?
J’ai rencontré Rodolphe lors du Whisky Live, en septembre 2022, où il présentait le distillat de sa toute première cuvée. C’était ma première rencontre avec le rhum Marie-Louise.
En le goûtant, j’ai été immédiatement frappée par l’intensité de la matière première.
Étant issue de l’école italienne en matière de distillation, j’accorde une importance fondamentale à la qualité de la matière première. Et ce que j’avais dans le verre avait un potentiel immense, que j’avais envie d’explorer…
Peu après, Rodolphe m’a invitée à visiter le Domaine de Bel-Air. La façon dont la plantation était entretenue, son approche biologique et sa passion m’ont convaincue de le rejoindre dans cette aventure, en l’accompagnant sur la phrase d’affinage et de dilution du premier millésime.
C’est comme ça que notre collaboration a commencé.
- En tant qu’œnologue, comment insuffles-tu ta vision dans la construction de l’identité des rhums Marie-Louise ?
Rodolphe et moi partageons la même conviction, celle qu’il ne peut y avoir de grand spiritueux sans une matière première d’exception.
Chez Marie-Louise, cette présence de la canne, on la cultive dès le champ, mais aussi – et surtout – à travers la fermentation. Ensemble, nous avons mené un travail de fond pour recréer nos propres levures indigènes, issues directement des cannes du domaine. C’est une étape essentielle pour tracer notre singularité.
Personnellement, j’accorde une attention toute particulière à la fermentation. C’est une phase aussi complexe que passionnante. Pour Marie-Louise, j’ai toujours défendu une fermentation lente, précise et maîtrisée… Elle permet aux arômes de s’exprimer pleinement, de prendre le temps de se structurer.
- Quand on goûte un rhum Marie-Louise, quels marqueurs sensoriels signent la typicité de la marque ?
Il y a triptyque aromatique qui caractérise parfaitement les rhums Marie-Louise : les notes de fleur blanche (jasmin, fleur d’orange) et de zeste de citron. Ça, c’est la canne bleue que nous utilisons. À cela s’ajoute une note iodée, subtile mais bien présente, qui raconte le terroir unique du Domaine de Bel-Air et d’Anse-Bertrand, dans le Nord de la Grande-Terre.
Nous travaillons nos rhums pour qu’ils vivent en bouche. Ils évoluent, se déploient. Ce sont des rhums vivants, puissants mais toujours équilibrés.
Lors de la maturation, notre approche est claire : le bois doit venir enrichir la matière, jamais la masquer. On cherche la tension juste, celle qui sublime l’expression première de la canne.
- La dernière cuvée 2024 a été élaborée selon les principes de la biodynamie. Qu’est-ce que cela change concrètement dans ton approche œnologique ?
Pour quelqu’un qui aime travailler au plus près de la matière première, c’est un vrai plaisir…
Les cannes ont été récoltées avec un taux de brix exceptionnel (23). Cela m’a permis de conduire une fermentation naturelle très lente, en toute sérénité. Le jus, plus concentré, offrait à chaque étape – du broyage à la distillation en passant par la fermentation – une très belle expression aromatique. Et pour moi, c’est un indicateur clé…
Le résultat est surprenant : sur le 56°, on retrouve une belle maturité fruitée, avec des notes d’abricot, douces et harmonieuses en bouche.
Quant au Brut Nature, il affirme une identité très marquée : les notes florales et iodées y sont intenses, presque vibrantes, soutenues par une touche tropicale en arrière-plan. C’est, pour moi, un rhum profondément guadeloupéen – ancré dans son terroir, mais aussi dans sa personnalité.
- Rhum Marie-Louise a sorti deux nouveautés en juin 2025 : un triple millésime blanc et un ESB… Quels ont été les partis pris œnologiques derrière ces deux créations ?
On considère ces deux produits comme de véritables créations.
Le premier, le Triple-Millésime, est un assemblage des trois premiers rhums blancs de Marie-Louise : 2022, 2023 et 2024. L’idée était de raconter le parcours de rhum Marie-Louise, millésime après millésime
Après un long travail de dilution (car on est reparti des distillats bruts) de recherche et d’assemblage, nous avons réussi à créer un rhum qui a l’expression de la canne fraîche du 2022, les notes iodées et agrumées du 2023 et toute la richesse florale, minérale et épicée du 2024.
Pour l’ESB, notre intention était de revisiter la perception du chêne américain, souvent associé aux fûts ex-bourbon largement utilisés en Guadeloupe. Nous avons voulu redonner ses lettres de noblesse au Quercus Alba. Le bois de chêne blanc américain est intéressant pour sa structure résistante, pour la rareté des tanins, pour la présence naturelle (et indépendant de la chauffe) de deux isomères B-lactone, qui donnent des arômes délicats de noix de coco, de fruits mûrs, de lait d’avoine, de bois fraîchement coupé, de noisette, de caramel…
Ce que nous recherchions ici, c’était un bois qui accompagne le rhum, qui le caresse, sans jamais le dominer.
Le résultat : un rhum à la fois voluptueux et précis, gourmand mais parfaitement lisible. Une autre façon de faire parler le chêne.
